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Sunday
Night Fever 4 : un mélange à trois francs
Ce
trimestre, la maison "Sunday Night Fever" vous propose un peu
de tout et de tout un peu. Au menu : une pensée émue pour
les gentils stripteases de M6 et quelques petites nouvelles des usual
suspects du dimanche soir : José B., Max P. et Joe D.
Sexy
Zappé
Evoquons
tout d'abord l'événement de la rentrée sur M6, un
changement d'une portée quasi cosmique pour l'amateur de déshabillages
télévisuels. Bien plus terrible que la transformation du
petit carré rouge évidé en un rond, il s'agit de
la suppression des émissions de charme de M6. Avec la disparition
de Sexy Zap et Secrets de femmes s'éteint donc - sans doute définitivement
- une lignée d'émissions inaugurée il y a plus d'une
décennie par Charmes. Dans leurs meilleurs moments, ces programmes
surmontaient leurs évidentes limites budgétaires et leur
esthétique de contre-plaqué par une dérision bienvenue
et, surtout, un recours massif à la répétition -
cf. le déroulement des parodies de La Classe, Hélène
et les Garçons et autres émissions à succès
dans Sexy Zap qui répondaient à des schémas immuables.
En dehors de ce vertige de la répétition (renforcé
par la fréquence des rediffusions), on pourra également
conserver un bon souvenir des pseudonymes des équipes (genre Stan
Lubrik), des explorations de l'histoire du cinéma érotique
(les petites bandes noir et blanc des années 60 dans Charmes, la
"venusthèque" qui présentait un extrait de film
des seventies dans Venus), et, surtout, des centaines de charmantes jeunes
femmes qui s'y sont dévêtues (parmi lesquelles on trouvait
souvent des ex stars du X comme Chloé des Lysses, Draghixa ou Julia
Chanel). Il ne reste plus qu'à prier pour que M6 ne touche pas
à notre rendez-vous chéri du dimanche soir... Dorénavant,
l'admirateur de saynètes coquines devra se contenter, à
condition d'être câblé, de la collection Confessions
érotiques (sur RTL9, le mardi après minuit), qui a l'avantage
d'être peu avare en physiques féminins spectaculaires. Le
doublage en est assez remarquable, tous les épisodes étant
doublés par les deux mêmes comédiens au timbre d'idiots
nasillards. Pour les curieux, il est à noter que ces Confessions
sont prduites par la même société (Ministry of Film,
fine allusion à Fritz Lang) que Pacific Blue, série du dimanche
après-midi de TF1 où l'on peut admirer les trépidants
exploits de policiers en VTT.
Gloire
à José (bis) et honte à Max
Au
mois de novembre, les hasards de la programmation nous ont permis de voir,
à une semaine d'intervalle, deux films de ceux qu'on surnommait
à la fin des années 60 les Racine et Molière du cinéma
sexy, José Bénazéraf et Max Pecas. Le vénérable
José était, sur Canal +, la vedette de la soirée
"French Love", qui s'articulait en trois volets : le documentaire
French Love ; Le journal du hard consacré en grande partie au tournage
de son dernier opus, Acteurs pornos en analyse ; et Anthologie des séquences
interdites érotiques et pornographiques, son film-bilan de 1975.
Réalisé par François Cognard et Frédéric
Fiol, French Love retrace l'histoire de l'érotisme cinématographique
français entre Dieu créa la femme et le début des
années 80. Interviewé dans un grand fauteuil en osier à
la Emmanuelle ou sillonnant les quartiers chauds de Paris à l'arrière
d'une décapotable, Bénazéraf apparaissait comme le
véritable fil conducteur de cette éclairante saga du cul
hexagonal. Mêlant entretiens avec divers grands et petits noms de
l'érotisme et du porno (Roger Vadim, Just Jaeckin, Gérard
Kikoïne, les hardeurs Alban Ceray et Dominique Aveline...), extraits
et images d'archives, les auteurs y ressucitent une période du
cinéma français totalement refoulée de nos jours.
On a bien du mal, par rapport à la situation actuelle de la distribution,
à se représenter l'ampleur du phénomène porno
: ainsi on nous rappelle qu'avant 75, certaines salles de province réservaient
neuf de leurs dix salles à des films pornos, ou encore qu'entre
76 et 78, près de 60% de la production française portait
l'infamant sigle X. Le documentaire mettait également en lumière
un fait généralement ignoré sur la ghettoisation
du genre en France. Si on évoque souvent la loi Giscard d'octobre
1975, qui aboutit à créer le label X et les salles spécialisées
(cf. "La pornographie ou la passion de l'ordre", Tausend Augen
#7), on oublie que le véritable coup de grâce envers l'industrie
porno fut infligé en 1982 sous un gouvernement socialiste par une
loi taxant encore plus lourdement ses productions. Privés d'une
grande partie de leurs financements, nos pornocrates abdiquèrent
alors toute ambition, se consacrant aux basses besognes de la vidéo.
Composé d'une suite de longs extraits montés dans l'ordre
chronologique, Anthologie des séquences interdites érotiques
et pornographiques est, pour Bénazéraf, une sorte de best
of de quatorze ans de carrière, de ses débuts en 1961 jusqu'à
ses premiers essais hard. Moins fulgurant que Le Journal de Cynthia (cf.
notre précédent numéro), le film met en parallèle
l'évolution du cinéaste avec son combat contre la censure,
les courriers du comité délivrant le visa de contrôle
étant cités à plusieurs reprises. A l'opposé
du discours libertaire et décomplexé de Bénazéraf
se situe le très réactionnaire Claude et Greta (1969) de
Max Pecas, diffusé sur RTL9. Comme l'autre pecasserie du dimanche
soir, Clara et ses démons (retitrage de Je suis une nymphomane),
ce film dépeint les affres de la débauche pour, in fine,
assurer le triomphe de la morale hétérosexuelle et bourgeoise
la plus convenue. Cette logique méchamment normalisatrice semble
d'ailleurs guider l'uvre "érotique" de Pecas (avant
qu'il ne découvre les bidasses et Saint Tropez). Ainsi, à
propos d'Une femme aux abois (1967), Jean-Louis Comolli écrivait-il,
dans les Cahiers du cinéma : "Comme les moralistes et comme
Molière, Pecas ne dépeint complaisamment le mal que pour
mieux le rendre odieux et mieux manifester, jusque dans sa fragilité
et sa difficulté, la suprématie du bien". Dans le film
qui nous intéresse, Pecas met en scène, pour les besoins
de sa description des dangers d'une pratique "contre nature"
(dixit un des personnages), deux couples homosexuels : d'un côté,
Claude, la trentaine, et Greta, Suédoise fraîchement débarquée
à Paris ; de l'autre, Mathias, peintre d'une quarantaine d'années,
et Jean, son jeune modèle. Claude et Mathias se révèlent
bien vite possessifs et intolérants, amenant Greta et Jean à
s'émanciper de leur influence mortifère pour retrouver le
"droit chemin". Pecas, avec une finesse de trait propre à
séduire les adversaires les plus acharnés du PACS, tend
à prouver que l'homosexualité ne relève pas d'un
libre choix individuel mais d'une névrose (Claude est traumatisée
par un viol). Dans l'épilogue, Greta, désormais épouse
de Jean et mère d'un enfant, livre sans détours le point
de vue du réalisateur : "Tous ces êtres-là sont
plus à plaindre qu'à blâmer. Au fond, la vraie vie,
ils ne savent pas ce que c'est". Beurk.
D'Amato,
morne plaine
Joe
D'Amato (dont nous avions évoqué la carrière dans
notre première livraison) est plus que jamais le roi du dimanche
soir : de juin à novembre, M6 et RTL9 ont en effet diffusé
pas moins de dix de ses films, auxquels il faut ajouter une demi-douzaine
de pornos passés sur Canal + et Ciné-Cinémas. Dans
cette quinzaine de films, D'Amato fait preuve d'une belle constance dans
l'inintéressant et la platitude. Avec L'Extase (version hard sur
Ciné-Cinémas puis soft sur M6) et Flamenco Extasy (un porno),
deux des plus récents du lot, on a l'impression de voir deux fois
le même film : le décor de station balnéaire est identique,
tout comme la distribution (Maria De Sanchez, Hakan Joel, Steve Drake).
D'Amato va jusqu'à reprendre les mêmes dispositifs (l'héroïne
regarde un couple forniquer et s'imagine à la place de la femme),
les mêmes situations (une scène de coït dans un jacuzzi)...
Dans ses derniers films, il semble mettre un point d'honneur à
obtenir l'image la plus plate et la plus beige possible. Tout cela est
déprimant, d'autant qu'au point de vue du filmage du sexe, il est
loin d'être un novateur : pour lui, point de salut hors de la succession
canonique fellation / cunnilingus / pénétration vaginale
/ sodomie / éjaculation faciale. Par son non-style, il parvient
même à annihiler les potentialités spectaculaires
et nanardesques de ses incursions dans les genres. Malgré son cadre
de western spaghetti, le prometteur Rocco et les sex mercenaires - avec
le mythique étalon transalpin dans le rôle de Yul Brynner
- est désespérant de statisme, et sa version des amours
d'Antoine et Cléopâtre ne retient l'attention que le temps
d'une scène de dialogue dans la nature qui peut faire penser, pour
les plus pervers, aux films antiques de Jean-Marie Straub et Danièle
Huillet.
Signalons aussi, dans la programmation de M6, l'inédit et curieux
Fantasmes de l'au-delà. L'étrangeté de cette production
apparemment tournée en Roumanie (voir les noms de la moitié
du casting et de l'équipe technique) tient essentiellement dans
son générique présentant, en montage parallèle,
une femme se baignant nue dans une piscine et des gros plans d'un très
joli extraterrestre. La suite, plus classique, accumule les confessions
d'un groupe de femmes réunies dans un hammam. Petit à petit,
on comprend confusément et avec peine que certaines des expériences
contées ont, quelque part, un certain rapport avec le visiteur
du début. A vrai dire, on s'en fout, tant l'ensemble exaspère
par sa mollesse et son excessive chasteté - malgré l'alien,
ce n'est pas vraiment The XXX Files, les femmes gardant souvent leurs
culottes. On retrouvait l'association fumeuse entre érotisme et
fantastique dans deux autres inédits américains, Les fantasmes
de la nuit et Cyberella, produit, comme Fantasmes..., par un certain Alan
B. Bursteen.
L'éternel
retour
Enfin, célébrons, pour la première fois depuis le
début de notre rubrique, la manifestion du syndrome bien connu
du film du dimanche soir (ou du vendredi soir sur RTL9) : celui de l'extrême
rapidité de sa rediffusion. Le spécimen atteint est Désirs
interdits de Giorgio Simonetti, récit de l'initiation d'une jeune
benêt par une bourgeoise mûre et passablement vulgaire dans
l'Italie fasciste. Alors qu'il est passé au moins trois fois sur
M6, RTL9 l'a programmé le 9 janvier puis le 16 octobre 1998. En
résumé, nous pouvons poser l'équation : "cul
à la télé = retour du même, neuf mois plus
tard".
Jacques Lémurien
©tausendaugen/1999
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