Une
idéologie n’est jamais si transparente que lorsqu’elle
domine. Le libéralisme dans sa vogue ultra est un projet
politique d’autant plus fort que ses aspirations totalitaires
sont parées d’atours séduisants : liberté
individuelle, liberté des mœurs, démocratie,
importance de la « société civile »,
primauté du contrat social sur l’intervention étatique,
etc. Il faut être bien aveugle pour voir que la réalité
est tout autre. Le totalitarisme dont est porteur le libéralisme
économique n’est pas nouveau, mais il n’a jamais
été aussi envahissant : brevetage du vivant, élaboration
de complexes médiatiques comme outils primordiaux de propagande
idéologique, destruction méthodique des liens sociaux,
des statuts du citoyen comme du salarié à travers
la remise en cause plus ou moins habile et subtile de droits gagnés
de haute lutte au fil des siècles, renforcement des politiques
néocolonialistes au détriment des PEVD (Pays Eternellement
en Voie de Développement), détournement des objectifs
de santé publique au profit des industries pharmaceutiques,
catastrophes écologiques annoncées de longue date,
mais jamais évitées pour cause d’intérêts
économiques, renoncement de la gauche internationale à
imposer la notion de service public partout là où
elle n’existe pas, ou est remise en cause,…
Dans ce contexte extrêmement complexe où il est difficile
d’élaborer une parole qui, dans un sens ou dans l’autre,
ne soit ni illégitime, ni simplificatrice, le rôle
du cinéma et des médias audiovisuels apparaît
essentiel. Leur pouvoir de séduction, comme leur pouvoir
de diffusion sont des armes redoutables. Quel que soit le discours
que servent ces instruments de la pensée humaine, les questions
doivent demeurer les mêmes pour celui qui les pratique ou
en use, dans une démarche citoyenne de réappropriation
des territoires de la pensée et de l’action.
Comment déjouer le sentiment d’impuissance patiemment
construit et diffusé parmi les citoyens ? Comment chaque
individu peut-il retrouver les moyens d’entendre et de se
faire entendre, en construisant son propre parcours identitaire
au sein de dynamiques citoyennes collectives ?
Une des premières étapes de ce long parcours sur
la voie de la connaissance (de soi et des autres) passe par la
notion de rencontre. Rencontre avec des œuvres rétives
aux discours dominant, qui s’essaient à trouver des
chemins de traverse, avec plus ou moins de bonheur ; mais qui
génère le questionnement par les décalages
qu’elles construisent.
On le voit, de nombreuses tentatives se font jour de créer
une altérité aux critères
uniformisés de l’existence « moderne »
que l’on nous vend comme seuls possibles.
Une de ces tentatives, qui ne peuvent faire poids que par leur
multiplication, et ne valent pas en elles-mêmes mais par
ce qu’elles suscitent, est la programmation proposée
par Tausend Augen dans le cadre du Festival 10 Vagues.
Pendant la semaine précédant le marché solidaire
et équitable, Tausend Augen proposera la diffusion
d’œuvres audiovisuelles dans un essai de laboratoire
d’utopies au cœur du quartier de Moulins, à
Lille. Cafés, appartements de particuliers désireux
d’accueillir et d’échanger, Maison Folie de
Moulins, le Cinéma L’Univers, la MAJT, des restaurants,…
tous les lieux seront investis, manière d’inverser
le rapport institutionnel de diffusion de l’œuvre artistique.
Le point d’orgue de cette tentative de créer autour
du cinéma et de l’audiovisuel un lien social, et
un temps de citoyenneté, sera le marché équitable
constitué par RIF, ainsi qu’une fête de quartier
où se conjugueront musique et cinéma en plein air.
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